L’atomisation des liens d’enseignement en atelier de design industriel de véhicule: Les nouvelles postures pédagogiques nécessaires à une transition numérique imposée par une pandémie virale.

L’atomisation des liens d’enseignement en atelier par la FAD. Martin Aubé en atelier, photo Jean-François Lebeuf.

Comment répondre à un bouleversement si rapide des habitudes d’enseignement provoqué par une pandémie et une distanciation sociale, alors que les solutions les plus logiques pour y faire face remettent partiellement en question l’attachement et la cohésion de groupe que certains enseignants voudraient voir absent : « Si l’idée de « désaffectivation » des savoirs ne fait pas l’unanimité entre les professeurs, celle selon laquelle il s’agit de mettre le savoir à disposition des apprenants et de se tenir à la marge est présentée par tous comme étant au cœur de la FAD dès ses débuts. » ¹  (Papi, 2016).

Nous prétendons avec conviction que la transmission d’un savoir est un acte de passion, de générosité et de création nécessitant un attachement aux individus et donc, la création d’une cohésion de groupe, tant chez le binôme enseignant-étudiant, qu’avec l’équipe pédagogique et technologique de conception de cours.

Autre temps, autres mœurs. L’enseignement du design industriel en atelier, avant pandémie. Comment retrouver la dynamique d’enseignement sans présence physique ? Photo Jean-François Lebeuf.

Dans le cas spécifique aux cours de design industriel de véhicules, nous croyons que seules des circonstances extrêmes doivent mener à des pratiques de formation à distance (FAD). Bien que celles-ci puissent servir de techniques en complément d’un cours en présentiel, selon les circonstances et le type de matière à transmettre.

Dans l’article - The Difference Between Emergency Remote Teaching and Online Learning - (Hodges, Moore, Lockee et Bond, 2020) les auteurs affirment que “Online learning carries a stigma of being lower quality than face to face learning, despite research showing otherwise.” ² Il aurait été intéressant en un premier temps de citer les recherches auxquels les auteurs font référence. Je ne remets pas cette affirmation en question, mais je crois qu’il faudrait segmenter les types d’enseignements à distance en cours magistraux, en atelier ou en cours hybrides (magistraux/ateliers) à fin de pouvoir juger de la qualité de chacun ou de la qualité de la FAD. Selon moi, certaines formations à distance donnent des résultats supérieurs, comme le mentionnent les auteurs ci-haut, si la matière des cours ne demande pas de suivi physique immédiat, d’ambiance et de processus de créativité ou d’émulation par l’exemple de techniques précises.

Dans mon cas, je m’estime chanceux d’avoir arrêté temporairement l’enseignement tout juste avant ces changements de paradigmes, j’ai une pensée pour mes collègues enseignant(e)s. J’estime que mes cours n’auraient pas eu la même répercussion et la même réception de la part des apprenant(e)s si nos rencontres hebdomadaires s’étaient déroulées à distance par le filtre des technologies. Il y a une multitude d’indices physique et psychologique qu’un enseignant(e) peut découvrir en observant de près sa classe, pour ajuster son enseignement, à chacun des étudiant(e)s, selon son niveau de progression.

Dans l’éventualité de devoir donner mes cours à nouveau, je serais bien sûr obligé d’utiliser la technologie d’enseignement à distance, je peux actuellement compter uniquement sur une expérience professionnelle et non pédagogique de rencontre à distance: depuis environ 14 ans, de façon hebdomadaire, j’utilise le logiciel de téléconférence « Gotomeeting » pour de multiples rencontres avec mes clients. J'épargne énormément de temps ainsi, mais les rencontres importantes se réalisent toujours sur place, en présentiel. Il y a beaucoup de limitation à ces rencontres virtuelles.  

Basé sur cette expérience partielle, j’en déduis qu’en donnant des cours à distance, je serais sans doute témoin d’une désintégration des liens d’enseignement et d’émulation face à une individualisation du processus technologique et pédagogique en plus d’un certain degré d’hermétisme. Ces commentaires sont faits par déduction et anticipation, en sachant que ce phénomène d’atomisation ne s’applique sans doute pas à d’autres types de cours ou l’aspect pratique en atelier n’existe pas.

J’apprécie grandement le degré d’autonomie et l'accessibilité de la documentation rendue possible sur la plateforme Moodle, ainsi que  la liberté d'action des enseignant(e)s et des étudiant(e)s. La motivation de l’enseignant(e), comme celle des étudiant(e)s est très importante. Il faudrait trouver des moyens technologiques qui permettraient, à peu de frais, de reproduire la présence en classe. Certains développements en ce sens semblent prometteurs :  Un système 3D immersif de téléconférence, qui pourrait se simplifier en système 2D moins dispendieux :

https://www.researchgate.net/publication/221274271_An_immersive_3D_video-conferencing_system_using_shared_virtual_team_user_environments

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Early_CTS-3000_Prototype.jpg

L'usage de la technologie immersive demande l’acquisition d’un système volumineux et dispendieux. L'industrie semble vouloir développer des versions plus accessibles avec écran que l’on peut rouler. Tout comme l’évolution des technologies de la Téluq depuis ses débuts, il faut espérer des systèmes de communication simulant des présences physiques dans quelques années. 

À des fins de réflexion et de communication, j’ai conçu et réalisé le schéma didactique ci-dessous. Ce sketch résume les relations complexes propres aux différents intervenants de la formation à distance (FAD), et s’inspire du texte de Papi, (De l’évolution du métier d’enseignant à distance, 2016). Les trois pointes du triangle représentent les étudiant(e)s, la technologie et le design pédagogique. Les enseignant(e)s occupent bien sûr une place primordiale dans le processus (la base), mais sont volontairement situés en périphérie pour illustrer la distanciation et l'accompagnement propre au phénomène  de la FAD, au centre, le savoir devient presque qu'une source "libre-service" qui est accessible suite à  un travail commun, par une clé d'accès qui est confiée aux étudiants. Les enseignent et accompagnent sont donc parfois en retrait. J'y traite également de l’attachement en y ajoutant certains éléments psychologiques et humoristiques. La facture emprunte au style « Gotlibien ».

 

Synthèse visuelle de la Formation à distance (FAD), par Martin Aubé 8 mai 2020. Tout droits réservés.

 

Voici une seconde illustration, qui date cette fois-ci de 1987, réalisée lors de mes études en design industriel à l’Université de Montréal, il y a 33 ans. Elle souligne l’arrivée de l’informatique à la faculté de l’aménagement. Un autre changement de paradigme, bien avant l’arrivée d’internet. Ce changement dramatique aura eu des effets sur l’enseignement de plusieurs disciplines (architecture, design industriel, aménagement du paysage, etc.). L’informatique est illustrée humoristiquement comme une puissance lumineuse magique (qui est porteuse de vertus) que tous et toutes tentent de s’approprier et de maîtriser, protégé par des lunettes teintées, en se bousculant dans un « chaos contrôlé ». Comme quoi, tout est recommencement, pandémie ou non.

 

L’illustration de l’arrivée de l’informatique à la Faculté de l’aménagement, il y a 33 ans, en 1987 par Martin Aubé. Encre de chine sur carton d’illustration. L’informatique est illustrée humoristiquement comme une puissance lumineuse magique que tous et toutes tentent de s’approprier et de maîtriser dans un « chaos contrôlé ».

¹Cathia PAPI, De l’évolution du métier d’enseignant à distance , Revue STICEF, Volume 23, numéro 1, 2016, DOI:10.23709/sticef.23.1.1, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 31/03/2016, http://sticef.org

²Charles B. Hodges, Stephanie Moore, Barbara B. Lockee, Torrey Trust, and M. Aaron Bond. The Difference Between Emergency Remote Teaching and Online Learning, 2020 https://er.educause.edu/articles/2020/3/the-difference-between-emergency-remote-teaching-and-online-learning